Fascisme light (Libération)

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«Cette fois-ci, c’est décidé, je vote Marine !» m’a dit Madame Dupuis, un grand sourire aux lèvres, les yeux pétillants de bonheur, un peu comme si elle m’annonçait qu’elle partait faire le tour du monde. Mme Dupuis, c’est mon ancienne gardienne, quinze ans que je ne l’avais pas vue et, l’autre jour, sur les grands boulevards, je tombe sur elle. Après avoir échangé quelques banalités – le temps qui passe et les enfants qui grandissent trop vite (la petite dernière, qu’elle a connue dans sa poussette envoie aujourd’hui des BBM à ses copines) -, la conversation a dérivé sur moi, la politique et… Marine, «Marine sur qui, j’vous le dis parce que je vous adore, vous tapez trop fort !»«Vous comprenez, a ajouté Mme Dupuis, comme si elle avait perçu mon malaise, René est au chômage, un plan de restructuration chez Peugeot Citroën et à deux, avec 800 euros par mois, on ne s’en sort pas ! Alors, c’est décidé, en mai, on vote Marine !»

J’étais pétrifié… Mme Dupuis qui a gardé mes enfants, mes beaux-enfants (des petits Zeitoun !) et qui m’annonce qu’elle va voter Le Pen ! Pour achever de m’achever, elle me tend, très fière, sa nouvelle carte d’adhérente, sous l’oriflamme bleu-blanc-rouge du FN. Mme Dupuis sourit à sa nouvelle vie, une vie pleine d’espoir, où René, son mari, retrouvera bientôt sa place chez Peugeot. «Vous savez, ajoute-elle, extatique, Marine n’a rien à voir avec son père, c’est une personne toute simple, comme vous et moi.» «Marine !», cette façon de l’appeler par son prénom m’horripile. Elle ne s’appelle pas Marine, Mme Dupuis, elle s’appelle Marion Anne Perrine Le Pen… C’est déjà beaucoup moins joli comme couleur.

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Mme Dupuis semble terriblement déçue, un peu comme si, fan de Sheila depuis toujours, je venais de lui apprendre que le vrai nom de la chanteuse est Annie Chancel. Son petit front rétrécit encore, je la sens malheureuse, je vais devoir y aller avec des pincettes, ne surtout pas la brusquer :

«- Marine ne peut pas être quelqu’un « comme vous et moi » Mme Dupuis, c’est impossible. Dès sa naissance, elle a été bercée, conditionnée par les idées de son papa, les chiens ne font pas des chats !

– Vous vous trompez, j’ai vu un reportage sur son enfance à Montretout, c’était une vraie famille unie, heureuse et très pratiquante.

– Mais Mme Dupuis, vous imaginez grandir chez les Le Pen ? L’ambiance autour de la table, les dérapages racistes et antisémites, les mauvais jeux de mots, les « Durafour Crématoire », les propos homophobes, l’immigration comparée au sida. Bruno Mégret faisant sauter la petite sur ses genoux en chantant « Ah, dada sur mon bidet, quand il trotte il fait des pets ! », les traumatismes que ça représente !

– Oh, les enfants font très bien la part des choses !

– Mais Mme Dupuis, rien que le jour de sa naissance… Jean-Marie débarquant à la clinique avec son bandeau sur l’œil et ses gardes du corps. Une bise à Pierrette, un coup d’œil méprisant à l’infirmière noire qui débarrasse le plateau : « C’est Bamako ici !, dit-il en soulevant l’enfant. Heureusement, toi, tu es blonde ma Marion, blonde comme les blés de nos terres de France !» Arrête, supplie Pierrette, tu la fais pleurer avec ta grosse voix. Je vais lui mettre un disque répond Le Pen, ça va la calmer : IIIe Reich, voix et chants de la rénovation allemande. A ce moment-là, Jean-Marie appelle Mégret, son fidèle lieutenant de garde qui attend derrière la porte. « Heil Leitfigur ! », répond ce dernier en claquant des talons. «Allez me chercher le mange-disque dans la voiture, Bruno, et faites attention que les dobermans ne sortent pas ! »»

Mme Dupuis est furieuse, mon histoire ne lui plaît pas du tout :

«- Vous exagérez Monsieur Guillon, vous n’êtes pas à la télé…

– Je n’exagère rien, Le Pen a édité de la musique nazie et il est très probable que la petite ait été bercée avec… C’était son Henri Dès à elle. Imaginez les séquelles !

– Bon, elle a peut-être eu des parents un peu limite, mais elle est allée à l’école, elle a appris la même histoire de France que vos enfants.

– Ah oui ? Vous l’imaginez jeune écolière devant faire signer à Le Pen un exposé sur la Shoah ? Terrorisée par l’antre du chef ? Un bureau dans lequel sont amassés tous ses souvenirs de la guerre d’Algérie : un chalumeau, une gégène, des électrodes. Et son père lui hurlant dessus : « Me faire signer un exposé sur la Shoah, un détail de la Seconde Guerre mondiale, dis à ta maîtresse, cette conne, que je veux la voir, schnell ! »

– Vous êtes vraiment un bobo, Monsieur Guillon c’est facile pour vous… Vous êtes de mauvaise foi, tout le monde sait que Marine a pris ses distances avec son père, elle l’a dit à la télé !

– En 2006, Mme Dupuis, Marine Le Pen a posé, entourée de deux jeunes néonazis lyonnais, crâne rasé, look de skinead, l’un deux portait une croix gammée masquée par une tête de mort, il s’agit d’un Totenkopf, symbole des gardiens SS. En 2006, Marine avait 40 ans, ce n’était plus une enfant.

– Elle est peut-être légèrement fasciste, Monsieur Guillon, mais c’est un fascisme light, moi ce que je veux c’est que mon René retrouve un travail !»

Mme Dupuis s’éloigne, je la sens moins déterminée, hésitante. Fascisme light… A une époque où l’on découvre que les produits light sont encore plus nocifs que les autres… Je suis inquiet.

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