Dernier feu d’artifice (Llibération)

Ce matin, je voudrais vous confesser un sentiment confus et invraisemblable, difficile à expliquer… Voilà, depuis quelques semaines, en tant qu’humoriste, je redoute la victoire de la gauche. Cinq ans que la droite nous offre un tel spectacle, mélange de gaffes, d’excès, de dérapages, d’affaires, nous avons bénéficié d’une telle matière pour rire et faire rire… Alors soudain, j’ai peur de me retrouver sans rien, désœuvré, démuni. A quarante jours d’une possible victoire de l’opposition… Je flippe ! C’est un des paradoxes de ce métier : on se moque des travers de nos politiques, on les dénonce, on en rigole… Et quand ils s’en vont, quand ils nous quittent, on se retrouve orphelin. Ils nous manquent presque : le syndrome de Stockholm.

Pour un humoriste, une année politique sans scandales… C’est comme un hiver sans neige pour un moniteur de ski… Sa saison est fichue. A Libération aussi, l’ambiance est bizarre. Le journal ne s’est jamais aussi bien vendu, on devrait se réjouir… Et pourtant, dans le regard de quelques journalistes politiques croisés, au petit matin, à la machine à café, je perçois une inquiétude.

Je nous fais penser à un groupe de scientifiques qui pendant des années se serait investi, passionné, à chercher un vaccin pour soigner une grave maladie et au moment de trouver le remède miracle… «Putain, qu’est-ce qu’on va devenir, maintenant ?» Fini les réunions enfiévrées le soir, les apéros jusqu’à pas d’heure avec Demorand couché sous la table chantant l’Internationale. «On a gagné… Merde !»

J’ai un ami, humoriste américain, qui me l’a avoué l’autre jour : depuis le départ de George W. Bush et l’arrivée de Barack Obama, c’est l’horreur, il s’ennuie à mourir, il broie du noir. On est passé d’un cow-boy bête à bouffer du foin, dilettante, fils à papa, capable de s’étouffer en mangeant un bretzel à un homme à la grâce absolue, un Sidney Poitier des temps modernes, brillant, charismatique, capable de chanter du blues à la Maison Blanche aux côtés de Jagger et de B.B King sans être ridicule. Mon copain américain était au plus mal : «Comment veux-tu qu’on travaille, comment veux-tu qu’on s’en sorte ?»

Là-dessus, j’ai imaginé François Hollande en chanteur de blues faisant pâmer ses dames et j’ai été rassuré. Nous avons encore de la marge sur les Américains.

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Malgré tout, je demeure inquiet. J’ai conscience qu’en matière d’humour politique nous vivons les dernières semaines d’un âge d’or. Dans cinquante ans, nous nous repasserons les meetings du Président comme un bon vieux Louis de Funès.

«Regarde comme il bouge les épaules ! Et ces mots entiers qu’il avale.

– Dis-moi, c’est qui le gros monsieur au premier rang qui, entre deux relents de whisky, lui a apporté son soutien ?

– Gérard Depardieu…

– Non, pas le voyou sublime des Valseuses !

– Si, c’est lui !»

Je suis inquiet. Fini la rigolade. En plus, comme un fait exprès, la droite met les petits plats dans les grands, se surpasse, fait tout pour se faire regretter, bouquet d’un dernier feu d’artifice… Fillon, jusque-là réservé, s’attaque au halal. Dati chausse ses bottes de sept lieux pour entrer en campagne : des Louboutin rouges à 2 500 euros l’unité, histoire d’aider le Petit Poucet à faire peuple ! C’est connerie sur connerie, énormité sur énormité… Depuis dix jours, «la cellule riposte» a laissé la place à «la cellule Jean-Claude Van Damme».

Bien sûr, je me fais aider, depuis quelque temps, je vois quelqu’un, mon médecin de famille, le professeur Delange. «Lâchez-vous, m’a dit-il dit, jusqu’au 6 mai, faites-vous plaisir : Libé, Canal, l’Olympia… Allez-y à fond, ne vous privez de rien !»

«Le 7 au matin, vous passerez me voir au cabinet et on avisera. Venez à jeun : Mediapart, Marianne, Rue 89, le Nouvel Obs… Aucune lecture !

– Même pas une petite brève dans le Canard ?

– Rien, soyez-là à jeun et à l’heure ! J’ai Didier Porte après vous. Vous allez avoir des moments difficiles, Stéphane, je ne vous le cache pas… Déprime, manque d’appétit… Passages à vide, votre carrière peut légèrement décliner… (Mon médecin marquait un temps, je sentais qu’il hésitait à me dire la vérité.) Je vais être franc, il y a peut-être une chance pour que finissiez jury dans The Voice…

– Non pas The Voice, pas The Voice, je ne veux pas tomber aussi bas !

– Arrêter de pleurer, calmez-vous, je préfère envisager le pire, le pire n’est jamais sûr. Et puis, vous savez Stéphane, ce n’est pas le médecin qui vous parle, mais l’ami… Entre nous… Il se peut que vous retrouviez du travail très vite… Pour les conneries, les malversations, les socialistes savent aussi être très doués, de vrais cadors, ils l’ont prouvé à maintes reprises par le passé. Dès cet automne, peut-être même à la fin de l’été, vous pourriez être totalement débordés. Faites confiance à la gauche !»

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