Lundi 6 mai 2052… (Libération)

Lundi 6 mai 2052, sept heures du matin, maison de retraite la Cerisaie à Neuilly-sur-Seine, l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy, 97 ans, se lève péniblement. Sa nuit a été courte, ses gestes sont lents, son corps fatigué. Seules ses épaules qui s’agitent en permanence ont l’air en vie. Aujourd’hui n’est pas un jour ordinaire, il y a 40 ans exactement, le 6 mai 2012, c’était un dimanche… Nicolas perdait son travail, son job, le rêve de toute une vie contre un type… avec un nom de fromage, il cherche… sa mémoire lui joue des tours… 42 contre 58, ça il s’en souvient, il ne peut pas l’oublier, une sacrée raclée !

«C’était une crise sans précédent, sans précédent !», le président, qui n’a jamais réussi à digérer sa défaite, répète inlassablement cette phrase. Le médecin préconise de le laisser tranquille, les autres patients s’en amusent. A la cantine, c’est devenu son surnom : «Sans précédent».

Comme chaque matin, Sans précédent branche son iPad, un vieux machin auquel il tient beaucoup et qu’il refuse de changer malgré les sarcasmes de ses petits-enfants. Il écoute Didier Barbelivien, chanteur des années 1980, aujourd’hui oublié, mais que le président adore… «Il faut laisser du temps au temps et nos amours auraient 15 ans et nos pères seraient nos enfants…» Protestations des pensionnaires, coups de cannes contre les cloisons : «Mets du Orelsan, si t’aimes les vieux trucs, au moins c’est bien écrit !» Le président les ignore, il croque tristement dans une chouquette et feuillette l’Equipe : son club de prédilection, le Paris Qatari, le PQ, (qui a remplacé le vieux PSG) a encore gagné ! Un sourire se dessine sur ses lèvres, ce sera le seul de cette triste journée anniversaire.

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Au-dessus de son bureau, quelques photos jaunies sont punaisées au mur. Une en particulier attirent son regard, celle de sa Carla partie avec sa valise au matin du 9 mai 2012 direction l’Italie. «Chouchou» l’appelait-elle, «nunuche» murmure-t-il. Le président est amer, deux femmes l’auront quitté : Cécilia, au soir de la victoire, et Carlita, au crépuscule de la défaite. Au-dessus de l’ex-première dame, une photo du «prince Jean», l’héritier, le fils aîné… promu un temps à la présidence de l’Epad et qui avait fini par renoncer à la politique après avoir redoublé pour la sixième fois sa première année de droit. A ses côtés, son frère, Pierre, alias DJ Mosey, d’une santé fragile, rapatrié à plusieurs reprises suite à des ennuis gastriques, alors qu’il mixait du rap au bout du monde. Aperçu une dernière fois en 2025, entre Ubud et Denpasar, dans une communauté végétarienne prônant la fin du monde.

Au milieu du tableau, enfin, Giulia, sa princesse, son rayon de soleil, chanteuse et perpétuellement amoureuse… Comme maman ! Giulia qui vient de quitter Justin Bieber qu’elle trouvait trop vieux pour Brooklyn Beckham, un dandy bling-bling qui la fait rire. Elle a aussi flirté avec les deux jumeaux de Céline Dion, Nelson et Eddy… qu’elle trouvait trop cons. Aujourd’hui, Giulia vient déjeuner avec son papa, elle sait que la journée va être difficile et souhaite être là. Dans l’après-midi, une interview est prévue, la première depuis des années, une chaîne d’info souhaite recueillir les impressions du vieux président. Quarante ans que la droite a perdu sans jamais parvenir à revenir au pouvoir, la date est historique. Triste bilan.

Sans précédent s’en veut, il s’assoit dans son fauteuil, entoure sa tête de ses mains et tente de rassembler ses souvenirs… Satanée mémoire… Il y avait Guéant… C’est ça Guéant, un vieux monsieur sinistre et aigri… La blonde hystérique, bête à bouffer du foin… Avec un nom italien… Et l’autre là, la gravure de mode… Venue en bottines rouges Louboutin, alors qu’il voulait parler au peuple… Comment avait-il pu s’entourer ainsi de tels bras cassés ? Et que dire du secrétaire général de son parti, l’arriviste aux dents longues qui s’était vanté des années après de l’avoir trahi, d’avoir voté Hollande… Hollande ! C’est ça le nom du fromage qu’il cherchait. La mémoire lui revient, capricieuse, par saccades… Reste un souvenir que le président occulte, quelque chose de très noir, enfoui dans les limbes de son cerveau… Pire que Guéant… Un visage le hante, rond, dégarni, orné de petites lunettes rondes… Buisson, Patrick Buisson, ancien journaliste d’extrême droite à Minute… Il ne veut plus jamais se souvenir… Guéant et Buisson… Ces types lui avaient conseillé de droitiser son discours : l’identité nationale, les civilisations qui ne se valent pas, les conseillers municipaux étrangers qui allaient forcer nos chères têtes blondes à manger de la viande halal à la cantine… Au fil de ces discours d’exclusion, le président n’avait cessé de dégringoler dans les sondages : – 2 %, – 3 %, – 4 %, jour après jour, semaine après semaine, les Français le rejetaient inexorablement. Il se souvient d’un café à Bayonne où il fut contraint de se réfugier comme un malpropre, lui, le chef de la cinquième puissance mondiale. Il entend encore les sifflets, stridents, insupportables.

Sans précédent se bouche les oreilles, vieillard recroquevillé dans son fauteuil. Et puis, il y eut cette dernière idée, cet ultime coup de poker… Buisson en rêvait depuis sa jeunesse, il avait insisté, l’avait supplié. Le président revoit encore la scène. C’était début avril, à l’Elysée les genêts étaient en fleurs, Buisson se trouvait dans son bureau, debout, sûr de lui : «Il faut réunir toutes les droites, avait-il dit, tu n’as plus le choix Nicolas, rencontre Marine Le Pen, discute avec elle !» Comment avait-il pu céder, accepter un tel deal, lui, le Français de sang-mêlé, fils de Hongrois, petit-fils d’un Grec né à Salonique…

6 mai 2052, maison de retraite la Cerisaie, le président pleure doucement, Barbelivien chante, Giulia ne va plus tarder.

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